Publié originellement sur Efigies le 15 décembre 2020.
Les membres du Réseau d’Études HandiFéministes (REHF), concernées pour la plupart par le sexisme et le validisme et chercheurses à l’université ou ailleurs, exprimons aujourd’hui notre désaccord et dénonçons la récupération du handicap pour justifier des positions anti écriture inclusive, par des personnes généralement concernées ni par le sexisme, ni par le validisme. Au nom de la cécité, de la dyslexie ou de la dyspraxie, certain-e-x-s s’opposent à l’usage et au développement de l’écriture inclusive. Pour le REHF, il s’agit d’un argument doublement fallacieux.
En premier lieu, cet argument tend à homogénéiser l’opinion de l’ensemble des personnes déficientes visuelles et avec des troubles dys. Il existe assurément des handi-e-x-s qui défendent l’écriture inclusive. Il est donc problématique que des personnes non concernées ne consultent pas ou s’expriment à la place des personnes concernées par le validisme, tout comme il est problématique que des personnes concernées ne considèrent pas la pluralité des discours sur ces débats. En effet, l’argumentation s’appuie parfois sur des textes publiés par des personnes handicapées, à l’instar de la lettre de la Fédération des Aveugles de France, intitulée « Les aveugles disent non au mélange des genres ». Le REHF doute fortement que l’ensemble des aveugles de France aient été interrogé-e-s sur la question. Par ailleurs, le REHF s’oppose aux points suivants (site internet des Aveugles de France) :
[…] Nous ne saurions pas mélanger les genres : si l’on peut dire et faire de la question de la construction de la langue un sujet qui aurait rapport avec une quelconque discrimination sexuelle, c’est là faire preuve d’une inculture incroyable et de confusion redoutable.
C’est donc un bien pitoyable combat que celui de se battre à peu de frais contre une règle arbitraire, en la faisant passer pour le symbole d’une discrimination sociale.
Le mépris pour l’écriture inclusive dans ces deux extraits fait fi de toute une littérature scientifique sur la question. Tout d’abord, la sociolinguistique s’échine à montrer, depuis le XIXème siècle, qu’une langue est socialement construite et, à ce titre, qu’elle reflète les rapports sociaux dans leur ensemble. Donc lorsqu’il est dit que le masculin l’emporte sur le féminin, ce n’est pas sans raison, ni sans incidence. Loin d’être une règle arbitraire, cette oppression organisée discrimine et dissimule des populations dominées. Ensuite, l’histoire et la grammaire ont également révélé que cette hégémonie masculine au sein de la langue française est très récente (deuxième moitié du XVIIème), et qu’elle a entraîné une perte de vocabulaire, un vocabulaire aujourd’hui réinvesti par les défenseurses de l’écriture inclusive. Enfin, les études du discours ont expliqué que l’écriture inclusive n’est pas qu’une simple histoire de « mélange des genres ». Sur tous ces sujets, nous invitons nos interlocuteurices à se renseigner.
En second lieu, l’argument du handicap pour les positions anti écriture inclusive n’est pas valide au niveau technique, et ce, à double titre. Premièrement, c’est placer le problème au mauvais endroit. Le souci, ce n’est pas l’écriture inclusive en tant que telle, mais, d’un côté, c’est la programmation des logiciels de synthèse vocale utilisés par les personnes déficientes visuelles, et, de l’autre, c’est l’absence d’éducation à ce sujet. De fait, lire un point médian avec un lecteur d’écran est, à l’heure actuelle, quelque chose de désagréable, voire d’incompréhensible. Mais si les programmateurices travaillaient à modifier cela, il n’y aurait plus de problème. Donc nous préférons condamner le sexisme qui préside à la programmation des logiciels, plutôt que l’antisexisme qui motive l’usage de l’écriture inclusive.
Deuxièmement, il existe, dans l’état actuel des choses, de nombreux procédés qui permettent aux logiciels de synthèse vocale de lire confortablement l’écriture inclusive. Par exemple, il suffit d’intervenir dans le terminal du logiciel pour modifier la verbalisation du point médian, à condition d’avoir quelques compétences en informatique, ou d’avoir un-e valide sous la main qui daigne s’abaisser à cette tâche. Nous n’avons pas l’outrecuidance de dire que l’inculture n’est pas là où il paraît. Par exemple encore, il existe d’autres outils que le point médian, parfaitement lisibles par des lecteurs d’écran. C’est le cas des traits d’union (jusqu’à maintenant, nous croyons savoir que les déficient-e-s visuel-le-s n’ont pas demandé à supprimer les mots composés de la langue française), des points normaux ou des slashs, des répétitions de termes avec un accord en genre différent, des néologismes, etc. Nous pouvons donc écrire “auteurs et autrices”, ou bien “auteurs-trices”, ou encore “auteurices”, et nos synthèses vocales, de même que nos oreilles, s’en portent très bien.
Par ailleurs, la complexité de la langue française pour les dyslexiques (causée, en partie, par son opacité, c’est-à-dire par sa non-correspondance entre orthographe et phonologie) est une question qui doit être traitée dans son ensemble, et non pas à l’aune de l’écriture inclusive. Chercher à rendre la langue française accessible aux personnes dys est un travail qui, d’une part, mérite tout notre intérêt et, d’autre part, ne doit pas servir à évincer d’autres réformes linguistiques, telles que l’écriture inclusive, permettant de lutter contre d’autres discriminations, en l’occurrence le sexisme. Le REHF soutient donc la création de solutions ou alternatives non discriminantes.
Nous notons aussi la manière dont les personnes neuro-atypiques (ou neuro-diverses), d’ordinaire évacuées de la plupart des discours dominants, se retrouvent souvent utilisées dès qu’il s’agit de contrarier l’utilisation de l’écriture inclusive ; notamment dans les sphères intellectuelles, scolaires ou encore universitaires, etc., et ce, malgré la méconnaissance évidente des enjeux neurologiques, neurocognitifs, neurocomportementaux, sociaux, de même que l’ignorance des précarités et des discriminations auxquels ces personnes font face au quotidien.
Si l’utilisation de l’écriture inclusive et sa lecture représentent effectivement, pour les personnes dys et multi-dys, des enjeux et des efforts supplémentaires, c’est précisément parce que la langue française est sexiste. Et c’est pour pallier ces manquements qu’elle nous oblige à faire cette gymnastique, afin de faire exister, par les mots, celleux qu’elle oublie.
Pour toutes ces raisons, le REHF défend l’usage d’une écriture inclusive pour toustes et par toustes. Pour une présentation détaillée des enjeux et des formes d’écriture inclusive, nous conseillons à nos interlocuteurices de visiter le site de la Fondation Phi.